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lundi 27 février 2017

Maslenitsa et dimanche du pardon

Marina Skountseva
J’ai passé quatre jours à Moscou pour fêter la maslenitsa, le carnaval russe, d’abord une magnifique répétition chez Skountsev à l’Arbat, puis à l’église saint Dmitri Donskoï. La fête elle-même était décevante, car les Skountsev étaient sur scène, avec une sono assourdissante, les gens ne connaissent plus les jeux ni les chants, et c’est une façon de les leur apporter, mais ils ont du mal à participer, car on ne s’entend pas chanter, tout cela devrait être d’abord pratiqué en famille. Tout le monde devrait s'y mettre, il ne devrait pas y avoir de scène, mais des gens qui font de la musique, chantent, dansent et jouent tous ensemble.
Il faisait très beau, avec un soleil et un air vifs, et l’on pouvait voir déjà les bourgeons gonfler, et les branches se colorer. Elles deviennent jaunes ou rouges, les arbres commencent à se réveiller, et parfois, dans le vacarme de la sono, je me débranchais de mon environnement pour contempler ces ramures dorées sur les sapins sombres, le ciel très bleu, et les joyeux nuages aux robes volantées d’argent.
Ce vacarme est très regrettable, car l’intérêt du folklore, des voix et des instruments traditionnels, c’est que leur son est naturel et subtil, il est à l’échelle humaine.
Les petites dames de notre cours avaient mis de jolies jupes dans le style russe, et des foulards noués avec art. Elles m’ont accueillie à bras ouverts. Souvent, ici, les gens vous aiment au premier regard, et ne se posent plus de questions ultérieures.

Le recteur de la paroisse nous a invités à prendre un repas très copieux avec lui. C’est un prêtre majestueux et autoritaire qui a été entraîneur de l’équipe olympique. Tout brille de propreté. Tout le monde s’acquitte de sa tâche avec diligence et file doux. Il a grandi dans le chant traditionnel et considère les activités de Skountsev comme une thérapie psychologique et spirituelle. De même le sport, et les activités culturelles pratiqués dans le cadre de « l’école du dimanche ». Aussi a-t-il privilégié l’aménagement du centre nécessaire à la mise en œuvre de tout cela, alors que l’église est encore une sorte de préfabriqué, mais la construction de l’église définitive est en cours.
Plus que la fête elle-même m’ont intéressée les répétitions. Skountsev et sa femme Marina ont fait une démonstration des principes de la danse russe authentique à un groupe d’adolescents. Au début, tout le monde était coincé. Skountsev a pris son accordéon, et a commencé à expliquer en riant aux garçons : « C’est tout simple, la danse, c’est un plaisir. Vous vous levez et vous accroupissez, et vous sautez et vous faites ce que vous voulez, et maintenant, imaginez que vous avez un sabre à la main, et que vous dansez avec ! »
Et ces gamins ont commencé à sauter comme des cabris, gracieusement, et à y prendre un vif plaisir.
De même Marina dit aux filles : «Vous êtes là pour montrer combien vous êtes jolies et aimables, et combien vous aimez tout le monde autour de vous. Et voilà qu’un garçon vient danser à vos pieds, alors vous tournez autour de lui et vous lui faites comprendre : «Bravo, comme tu te débrouilles bien, comme tu es beau ! » Voilà toute la danse ! » Et les filles se mettent à évoluer comme des cygnes, naturellement.
« J’ai essayé, me dit Marina, de travailler avec des danseurs professionnels de type « ensemble Beriozka, chœur Piatnitski », ils ne savent absolument plus être naturels, on dirait des robots, avec un sourire mécanique accroché sur la figure. C’est l’école soviétique, qui s’inspire du folklore mais n’a plus rien à voir avec la tradition populaire, le problème est que les gens confondent les deux. On leur fait écouter des chants authentiques de la région d’Arkhangelsk, ils pensent que c’est de la musique arabe, on leur fait écouter «Konfetki baranotchki », composé par un juif à New-York, ils pensent que c’est du folklore russe. Et souvent, les jeunes ne s’y intéressent pas, car ils ont du folklore une vision trafiquée et ne soupçonnent pas qu’il est à la fois plus complexe et plus simple, qu’il appartient à tous et change notre vision de la vie.»
C’est du même ordre que les fausses isbas, les millions de matriochkas vendues à l’Arbat ou à Ismaïlovski Park, tout le toc et le kitsch que le diable fait passer pour de l’or pur.

Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’envoyer des enfants dans des cercles culturels ou à des activités n’a aucun sens. Il faut que ces choses-là soient pratiquées en famille. Les enfants des petites dames du cours ne font qu’assister à nos rencontres, mais ils assimilent tout ce que nous faisons. Ils chantent nos chansons, et j’ai pu observer qu’ils dansaient avec ivresse, surtout une petite fille de quatre ans, qui trouvait naturellement les attitudes, qui sont suggérées par la musique elle-même. Il faut remettre de la musique, de la danse, de la créativité dans nos existences aliénées et spoliées, notre musique, nos danses, notre créativité, et pas des traditions exotiques qui ne nous correspondent pas. C’est en effet une démarche thérapeutique, je suis d’accord avec le père André, thérapeutique et formatrice, ainsi que je l’avais fortement expérimenté avec le peu que je pouvais pratiquer à la maternelle, mais j’appliquais les principes de la culture populaire à tout le reste : apprendre ensemble, en réalisant quelque chose de beau qui nous motive et nous fasse rêver, qui nous élève, qui nous mette en relation les uns avec les autres, et avec tout le cosmos environnant. Ainsi vivaient nos ancêtres, dont les enfants étaient peu à peu inclus dans toutes les activités de leur vie et y trouvaient naturellement leur place, dans le cadre d’une communauté organique.
La maslenitsa consiste à s'en mettre plein la lampe de crêpes à la crème, de fromage et poisson, de telle manière que le premier lundi de Carême, nous sommes tous pratiquement malades et n'aspirons qu'à manger des salades et des soupes de légumes. 
Nous nous sommes tous demandé pardon à l'église, et je joins l'homélie du père spirituel du monastère saint Elizabeth de Minsk, que j'avais traduite l'année dernière, pour donner une idée ce ce que cela représente, quand on le vit vraiment. (cliquer sur le symbole des sous-titres, si nécessaire).



mercredi 22 février 2017

Panorama

Après cette première offensive printanière, la température retombe à - 7, c'est un peu tôt encore, et même, on n'est pas tranquille jusqu'à début avril. Je suis partie promener le petit chien du côté de la source, mais j'ai pris sur la droite, vers le monastère, et je me suis élevée à flanc d'escarpement sur les anciennes berges du lac. Il m'est apparu dans toute sa beauté, avec sa glace laiteuse et phosphorescente sous le ciel foncé, lugubre et grandiose. Tarkovski trouvait des correspondances entre les tableaux de Brueghel et la Russie, la façon dont les arbres se découpaient sur la neige m'a soudain rappelé ce qu'il en disait.
Je ne sais pas si c'est dû au réchauffement suivi d'une nouveau coup de gel, mais je marchais sur une croûte bien solide qui tout à coup cédait et je m'enfonçais jusqu'au genou. Après, j'essayais de ne pas trop appuyer sur un seul pied, de ne pas rester au même endroit. J'ai dépassé une maison moche et prétentieuse solitaire, avec quand même le cabinet au fond du jardin, la fosse septique sera pour les prochaines vacances. Et j'ai vu le monastère se dresser au dessus du champ de neige, précieux, étrange, onirique, un vaisseau fantastique, l'arche qui nous emmènera là où il faut, là où il n'y a ni tristesse ni gémissements, mais la vie éternelle.
Il s'agit du monastère Nikitski, consacré à saint Nicétas le Stylite, dont la source est un peu plus loin. L'archimandrite Dmitri a la réputation d'un saint homme, c'est le père spirituel de mon plombier. L'enceinte du monastère et l'une de ses églises ont été réalisées sur ordre d'Ivan le Terrible, et on y chante encore les stichères et les psaumes qu'il avait composés (je crois que je l'ai déjà dit mais je ne me lasse pas de la présence palpable de cette histoire russe qui me fascine).
Au retour, mon comptable dostoïevskien m'a annoncé qu'il allait déposer ma demande de permis de séjour.





mardi 21 février 2017

Blackos

Je crains bien qu'il me faille admettre, à côté de Rom, venu m'imposer sa présence il y a deux ans, celle de Blackos, le chat noir aux oreilles bouffées par le gel. Blackos devait se réfugier l'hiver dans ma cave, un peu moins froide que l'extérieur, mais voilà qu'il a découvert que celle-ci débouchait à présent sur une maison douillette où des privilégiés se prélassaient sur des lits et des coussins moelleux, avec nourriture à volonté. Il a essayé de faire partir les concurrents, mais devant la vive opposition de la maîtresse des lieux, il a changé de tactique, il est devenu doux comme un agneau. Je n'ai vraiment pas besoin de lui, mais je suis faible, surtout quand il fait si froid que les oreilles des matous tombent en morceaux.
J'ai décidé de me meubler en partie sur Avito, le bon coin russe. On m'a apporté une table à rallonge tchécoslovaque des années 70, quatre fois moins chère que l'équivalent neuf IKEA. Elle nécessite une remise en forme, mais j'ai décidé de faire ma déco dans le style récup. Elle me permettra de recevoir huit personnes. https://www.avito.ru/pereslavl-zalesskiy/mebel_i_interer/obedennyy_raskladnoy_stol_915444410
J'ai vu aussi un plumard qui a l'air pas mal. Les fauteuils, en revanche, sont tous plus affreux les uns que les autres. Il y a des limites à ce qu'un esthète peut supporter.
Je crois que je vais faire installer une tonnelle du côté de l'entrée de ma maison, car il s'en est fallu de peu que je prenne un bloc de glace sur la tête: le glacier du toit est en train de descendre. J'essaie de le casser, j'ai fait tomber quelques gros morceaux à titre préventif, mais il me semble qu'une tonnelle créerait une sorte de matelas intermédiaire et me protégerait du soleil en été.

lundi 20 février 2017

La source de saint Corneille

J'ai vu cet après midi arriver mes nouvelles connaissances, Olga et Nadia, et elles m'ont proposé une expédition à la source.
Nous voilà parties, accompagnées par un vent froid et humide. Le printemps n'est pas loin, la neige commence à fondre. Le matin, j'avais fait des courses sur une glace savonneuse et sale, à travers des flaques d'une profondeur indéterminée, j'étais allée me commander des lunettes à ma vue, ce qui me coûtera 1500 roubles verres er montures, soit 25 €... Pour ce prix j'ai eu aussi la consultation de l'ophtalmo.
La source est assez loin, et la neige rend la marche plus fatigante. Mais quelle beauté, même aujourd'hui où le ciel était gris. Olga, comme pas mal de Russes, donne énormément de conseils. Ils sont souvent très judicieux, mais comme ils vous arrivent dessus à,la façon d'une avalanche, on n'en retient aucun.
J'apprends que la chapelle située sur l'escarpement marque l'emplacement d'un monastère et du cimetière attenant dont ne reste plus qu'une pierre tombale: déserté à la révolution, le monastère a été entièrement démantelé au fil des années par les gens qui en prenaient les matériaux.
Le vent m'enivre, j'ai toujours aimé les grands courants d'air, peut-être parce que j'ai grandi avec le mistral. Les hauts arbres russes craquent comme des mâts et leurs branches bourdonnent. Le lac conserve un éclat laiteux et nacré sous les nuages bleuâtres, le paysage ressemble à un tableau de Levitan.
La source est au pied d'une interminable palissade qui marque la limite d'un espèce de grand centre touristique. Elle est surmontée d'une croix et nous lisons la prière accrochée à l'arbre voisin. Cette source est consacrée à saint Corneille, pas celui qu'Ivan le Terrible a tué par erreur, mais un saint local du XVII° siècle, saint Corneille le Silencieux.
Mes deux compagnes remplissent les bouteilles. Elles font tout, elles ne me laissent pas traîner mon sac à roulettes, je suis confuse et les invite à prendre le thé au milieu de ma pagaille. Du thé au citron et au gingembre.
Je suis pleine de courbatures. La promenade est magnifique, mais elle est loin, quand même, cette source.

mon petit chien

Olga

Nadia

Attention, serpents...

La source
Le lac au loin


dimanche 19 février 2017

Dimanche du jugement dernier

Un saut à Moscou pour me confesser et acheter des pinceaux. J'ai eu la chance de voir longuement le père Valentin, de passer un bon moment en famille.
A la liturgie du dimanche, sermon du père Fiodor, sur l'évangile du jugement dernier: le Seigneur ne nous demandera pas si nous avons jeûné ou prié, il nous demandera si nous avons aimé et secouru notre prochain, visité les malades, les prisonniers, nourri les affamés. Le père Fiodor sait de quoi il parle, car il s'occupe des sans domicile fixe des Trois Gares voisines de l'église. C'est un petit homme perpétuellement ébouriffé qui a une bonne dizaine d'enfants et quelque chose d'éternellement juvénile, on le sent toujours en train de retenir un clin d’œil humoristique.
Je confesse au père Valentin, entre autres, que le spectacle du monde où nous vivons me met dans de telles transes que je souhaite les mille morts aux politiciens responsables et à ceux qui les suivent. Il éclate de rire: "Oui, oui... Prions pour rester malgré tout de bons chrétiens!"
Il me parle chez Xioucha d'un Allemand orthodoxe qui lui avait écrit du fin fond de la région de Smolensk, où il a échoué dans un village en perdition et fait cinq enfants à une Russe. Il l'a invité à Moscou, et l'a incité à se rapprocher d'une communauté de paysans orthodoxes qui font dans l'agriculture écologique, comme lui, à réunir les bonnes volontés. Je trouve l'idée excellente, et certains Français pourraient s'y atteler également. Cet Allemand a de la sympathie pour les Amish. "Moi aussi, dis-je, mais nous n'avons pas besoin d'eux, nous avons déjà nos Amish, ce sont les vieux-croyants. Skountsev est allé dans un village de Sibérie où ils vivent comme au XVII° siècle, ils ne boivent même pas de thé, mais d'après lui, leurs infusions sont incomparables, et c'est ce que devaient boire tous les Russes, avant Pierre le Grand. Skountsev transmet tout cela, les chants qui existaient alors et existent encore, et cela fait au moins quelques enfants qui grandissent imprégnés de l'âme immémoriale de la sainte Russie!
- Qu'il soit béni pour ce qu'il fait. c'est notre rôle aussi, à vous et moi, de transmettre l'étincelle de notre culture dans un monde où tout s'éteint, dans la faible mesure où nous le pouvons, nous devons absolument le faire."
Mais comme je parlais de ce genre de choses à une amie de Xioucha, elle me dit que la perte de tout ce que je décrivais la rendait profondément triste. "Il faut simplement réagir, lui dis-je, aller vers cette source, et lui permettre de nous irriguer à nouveau, tant qu'il n'est pas trop tard".
Liéna, la fille aînée du père Valentin, me demande d'enseigner le français à ses filles, le français, qui me paraît parfois en danger de devenir assez vite une langue morte. Mais accrochons-nous dans les ténèbres montantes, et gardons notre lampe allumée: le Jugement Dernier approche, et je vais à sa rencontre avec quelques prêtres orthodoxes, des vieux-croyants et une langue qui n'a presque plus cours, tout cela se conservera dans la Mémoire Eternelle.
Coucher de soleil derrière ma maison

vendredi 17 février 2017

comptable lettré

J'ai vu un garçon, comptable de son métier, recommandé par Liéna, ma connaissance du café français, il va prendre en mains mes histoires de permis de séjour, car le gros problème est d'arriver à présenter la demande, quand les fonctionnaires vous renvoient comme une balle de ping-pong. C'est la deuxième fois qu'il le fait, il connaît la musique. Il m'a beaucoup plu, il a l'air intelligent et honnête, et nous avons fini par parler de Dostoïevski. "Je suis allé en Europe, me dit-il, et j'ai eu l'impression que nos écrivains classiques étaient considérés comme un diamant de la culture par les gens qui m'en parlaient mais qu'ils n'y comprenaient absolument rien.
- C'est parce qu'ils sont incroyants, ils ne comprennent pas la dimension spirituelle de Dostoïevski ni la notion de "sobornost", de communion, de responsabilité collective, qui fait que nous sommes tous reliés, qu'ici il fait plus noir et là bas plus clair, mais que nous sommes tous solidaires, nous contaminant ou nous guérissant les uns des autres du péché qui nous est commun.
- Oui, et je vois que vous, vous le comprenez!"
C'est la première fois que je parle de Dostoïevski avec un comptable.
Établir un permis de séjour prend six mois. Cependant, le contact personnel joue pas mal, ici.
J'apprécie beaucoup Liéna, c'est une jeune femme sensible et droite. Elle a passé son enfance dans les "baraques" abandonnées, derrière chez moi et ne peut en parler sans avoir les larmes aux yeux. Ces "baraques", un immeuble partiellement en briques et partiellement en bois, pourraient faire de jolis logements si on les restaurait, mais elles seront probablement détruites pour construire je ne sais quoi.
J'ai eu la satisfaction d'apprendre que mes voisins avaient racheté à leur parent le bout de terrain entre eux et moi, de sorte qu'on n'y construira rien, que je garderai sous mes fenêtres ce mystérieux espace de neige que je vois la nuit, et tout le ciel qui le surplombe, avec le croissant et les étoiles, ou les nuages du couchant. Pourvu que demeurent aussi les isbas d'en face, si pittoresques, le temps que je passerai encore sur terre...
Le peintre qui fait mes plafonds m'a dit que cet été, il avait vu que j'avais deux poiriers couverts de fruits, deux pruniers, à fruits noirs et à fruits jaunes, deux pommiers.
Hier matin, par -14, le givre sur les arbres du voisin

mercredi 15 février 2017

A la recherche de la source.




 Aujourd'hui, en promenant le chien, je tombe sur une brave dame, des bouteilles de plastic à la main. Je l'interroge sur la source, elle me dit que c'est loin, par là, elle m'explique. C'est une grande femme à la maigreur burinée et chamanique. Elle m'évoque tante Frossia, la guérisseuse, accoucheuse qu'embauche le héros de mon roman. Et justement, la voici qui me dit que maintenant que je suis en Russie, je dois m'intéresser aux simples, qu'on ne peut pas vivre et se soigner ici sans connaître les vertus du millepertuis ou de la calendula. Malgré son air chamanique, c'est sûrement une intellectuelle, elle paraît assez cultivée.Il souffle un vent glacial, elle m'explique que le climat a changé depuis qu'on a fait le lac artificiel de Rybinsk, qui a entraîné beaucoup d'autres ravages et catastrophes, l'engloutissement d'une très ancienne et très belle région de Russie et la déportation de sa population. Je rentre chez moi m'habiller plus chaudement et prendre ma poussette à roulettes et une bouteille vide de cinq litres. 
Arrivée au bout de la route qui longe l'ancienne rive escarpée du lac, je ne sais s'il faut aller à gauche à droite ou tout droit. Tout droit me paraissant très accidenté, je prends à droite et voit surgir les coupoles du monastère saint Nicétas au dessus de l'escarpement, comme une vision étrange, une ouverture sur un autre temps. Un papa et sa fille me disent que je me trompe de chemin. Je repars en arrière, prends à gauche, et traverse des bois. Un défilé de roseaux me mène par un chemin immaculé jusqu'au lac qui se dévoile soudain, immense, sous des nuages colossaux, pleins d'ombre, de lumière et de neige. J'avance sur la glace et vois à gauche le monastère Goretski, au dessus de la ville, et à droite le village de Gorodichtché, son haut clocher sur la berge bleue, en face, le large, une grande nuée foncée rapiécée de turquoise, dont les franges effleurent la mystérieuse, lointaine et sombre rive opposée. Le double de tante Frossia m'avait comparé le lac à un diamant, et c'est ainsi qu'il m'apparaît, un énorme et lisse diamant, sur lequel courent de brusques illuminations et des reflets laiteux. Le vent me tourne la tête, l'espace m'absorbe, tout ce que je vois est si beau et si étrange, si magnifiquement étrange, dommage que des ovnis contemporains affreux défigurent l'escarpement, grosses maisons prétentieuses, antennes pour diffuser internet partout, et bien que j'en fasse grand usage, il faut bien trouver quelque chose de bon aux mauvaises choses, je me prends à rêver de voir cette beauté telle qu'elle était, sans ces excroissances, ces tumeurs, ces ordures, quand tout était intégralement intact et que le prince Alexandre posait ses filets dans une eau non polluée.
Au retour, sans avoir trouvé la source, je rencontre ma nouvelle connaissance, avec une copine. Elle s'appelle Olga, la copine Natacha. Olga fait des objets en feutre, bottes, gants, sacs, elle est déjà allée en Italie, elle est née à Pereslavl et y a passé sa vie.
Je suis heureuse d'avoir trouvé, sinon la source, du moins cet accès sauvage au lac dans toute sa splendeur. C'est une promenade que je pourrai faire régulièrement, et je pourrai aussi accéder au beau monastère saint Nicétas sans passer par toutes les zones construites où abondent les châteaux américains. Pour la source, il fallait prendre ni à gauche, ni à droite, ni tout droit, mais légèrement en biais, le long de l'escarpement.



Le chemin de la source commence ici. La maison à gauche est à vendre, elle
est grande, neuve et pas finie, mais l'endroit assez planant, quand même.


Le côté de Gorodichtché

Le côté de Pereslavl 

les bois


Un pêcheur solitaire


Gorodichtché