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lundi 15 mai 2017

L'anniversaire de Skountsev

A mon grand regret, j’ai manqué la fête de l’icône miraculeuse du monastère saint Théodore : au moment des vigiles, j’avais les types qui nettoyaient mon terrain. Le lendemain, je ne suis pas allée à la liturgie, parce que c’était l’anniversaire de Skountsev, le soir, et que pour ne pas tomber dans les bouchons du retour de week-end, il me fallait partir le matin. J’étais triste, et Xioucha m’avait encouragée à venir avec ma chienne : «Je suis résignée à faire face à la pisse et à la merde, venez, Lolo ! » Je suis donc partie avec ma bestiole, qui n’en fait qu’à sa tête, et se conduit mal. J’ai trouvé l’appartement bourré de gamins hurleurs qui sautaient partout et faisaient de la patinette dans le couloir et dans la cuisine. Au début, Rosie ne demandait qu'à s'amuser, mais elle en a eu assez vite marre, et moi aussi. Les mères présentes ne posaient pas la moindre limite à ces sauvages, et je suis allée rejoindre Skountsev en laissant Rosie dans la fosse aux lions.
Skountsev était en retard, sa femme au Kouban, au chevet de son père, et la préparation du repas était entre les mains d’une jeune femme cosaque, rencontrée par Skountsev le 9 mai, dans le « défilé des immortels » où il chantait, bien entendu, des chansons cosaques. Vladimir Ivanov a mis la main à la pâte : ragoût de chèvre sauvage, soupe de poisson, champignons marinés, radis noir râpé, pastèque marinée, divers légumes, c’était simple et très bon, et comme d’habitude, très chaleureux, avec les toasts qui président à chaque consommation d’alcool. On écoute, on boit (de préférence cul-sec) et on commente. Certains commentaient plus que les autres et n’attendaient pas le fin des toasts, c’était le cas d’une vieille journaliste. La jeune cosaque a dit que lorsqu’elle avait entendu les chansons de Skountsev, les cœurs de tous ses ancêtres s’étaient mis à battre avec le sien, et elle rêve de se réapproprier cet héritage, et d’y initier sa fille. J’ai parlé de l’importance de ces anticorps du chant traditionnel dans le contexte satanique où le monde s’enfonce, et de la vivifiante découverte que j’avais faite de cette tradition, en rencontrant Skountsev. La journaliste était ravie, tout le monde était ravi.
Fédia Skountsev et sa femme projettent de venir me voir à Pereslavl. A la fin de la soirée, ils ont voulu que nous dansions autour de la table, et je n’ai pas osé faire le trouble-fête, mais après cet exploit, j’avais encore plus mal au genou. La dernière fois que j’ai dansé à en perdre haleine, avec le plus grand bonheur, c’était il y a une dizaine d’années, pour les noces de la fille de Soutiaguine, que Skountsev animait. J’ai réalisé tout à coup que c’était la dernière fois que je l’avais fait de ma vie, ce dont alors je ne me doutais pas.
Lorsque je suis revenue, épuisée,  chez Xioucha , la surprise-partie battait son plein. Tout le monde passablement éméché, de la musique à tue-tête, toujours autant de gosses, de cris, et Rosie planquée sous un lit, complètement hagarde. Xioucha voulait absolument me faire danser, elle aussi. J’ai refusé fermement et je suis allée, en claudiquant, me réfugier chez le père Valentin, avec Rosie.
A Cavillargues, je regrettais de n’avoir que des amis vieux. Mais si je suis jeune d’esprit et peut-être même immature, mon organisme est usé, lui, j’ai senti soudain que j’étais en complet décalage;  ces jeunes gens ne comprenaient absolument pas que je ne pouvais plus me permettre de faire tout ce qu’ils font, veiller jusqu’à point d’heure, danser, j’en ai éprouvé une grande tristesse et j’ai compris la leçon. Il y a seulement cinq ans, j’étais encore une femme mûre, maintenant, je suis une vieille, en tous cas physiquement.
Je me rends compte que je ne pourrai pas faire de fréquents voyages à Moscou, je suis fatiguée, je suis terriblement fatiguée, et Rosie n'est pas aussi gérable que Doggie. Je suis allée faire mes courses au Magnit de Pereslavl, les vendeuses m’ont demandé des nouvelles de mon petit chien, provoquant mes larmes instantanées. Elles m’ont aidée, consternées, à ranger mes achats avec des paroles consolantes. Je ne m’en remets pas, je ne peux pas l’admettre.
Rosie est enquiquinante et maladroite, touchante, bien sûr. Elle était si contente de revenir à la maison. Elle se couche sur mes pieds, quand elle est calme, elle me garde. Elle est très heureuse de vivre.

Le genre de chose qui me tirait des larmes quand je suis venue la première fois à
Moscou, cette petite église, seul vestige poétique de la ville d'autrefois, coincée, solitaire, sous
les affreux machins en béton érigés par Khrouchtchev, grand démolisseur de ce que Staline avait
laissé subsister.

Sur le vieil Arbat, les arbres illuminés du nouvel an, restés là tout l'hiver, ont été habillés printemps. Les vrais arbres, eux, n'ont toujours pas fleuri. Tout le monde est dans la rue dès qu'il y a un peu plus de douceur. Notre belle saison, cette année, ne durera que trois mois, peut-être moins, si ce temps continue...

Les portraitistes sont à l'oeuvre, avec le même style qu'à Montmartre...


Skountsev et ses amis chantent une épopée russe









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