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jeudi 18 avril 2024

Ascétisme...

 


C’est parti pour un printemps froid et pluvieux, semble-t-il. Dès qu’un rayon de soleil apparaît et même sans lui, le voisin bricoleur est à l’oeuvre, avec la scie à métaux et la radio à plein volume. Un bon exercice de patience, me dira-t-on. La bêtise ne cesse de me fasciner. Elle n’a pas de limites, elle ne respecte rien, elle écrase tout, et contre elle, il n’y a pas de recours, à part le coup de gourdin sur la tête ou, si l’on est très fort, la transcendance de l’exaspération qu’elle suscite.

C’est que lui a encore sans doute quarante ans de vie pour emmerder joyeusement son entourage, je n’en ai plus que la moitié pour écouter le vent et les oiseaux et regarder en paix la lumière jouer avec les feuillages et les fleurs.

J’ai été invitée à une réunion sur l’amélioration de la ville, mais quand je lis « amélioration », je vois tout de suite le béton partout, les petits massifs idiots et les rangées de thuyas. Je me suis aperçue que finalement, je n’étais pas la seule, les gens étaient assez remontés, car question amélioration, on en a vu des vertes et des pas mûres. Une dame a déclaré qu’en ce qui concerne la ville, il fallait, comme les médecins, garder à l’esprit avant tout de ne pas nuire. Une autre a recommandé un « minimalisme qui souligne la nature et le paysage existant sans les modifier ». Nous nous sommes mis tous en ateliers, comme pendant les stages pédagogiques. J’étais avec les deux dames précédentes et encore une autre, qui veut fonder un conseil artistique pour la conservation et la mise en valeur de la ville, je lui ai répondu qu’il était bien temps ; et puis un gros monsieur intelligent et plein d’humour, qui connaîssait bien le terrain, il est né ici, et fit preuve d’un esprit éclairé et pratique. On lui a demandé ce qu’il faisait dans la vie. « Retraité.

- Retraité de quoi ?

- Espionnage et contre-espionnage...

- Ah d’accord...

- Eh oui... (avec un clin d’oeil) je vous suis pas à pas ! »

J’ai expliqué à l’architecte sur la défensive qu’à mon sens, il ne fallait pas forcément faire de la reconstruction artificielle de mauvais goût, que je préférais le vrai moderne au faux ancien, mais faire harmonieux et simple. De toute façon, il s’agissait d’une partie de la ville où il peut se laisser aller, il ne reste rien, c’est affreux et chaotique, il ne fera jamais pire que ce qui existe déjà ou disons, ce qui subsiste encore.

Ensuite, je suis passée saluer Gilles au café. Le pâtissier Iegor a pris pour l’aider à la viennoiserie un jeune homme diplômé de théologie, que l’évêque s’apprête à ordonner diacre et qui fait les magnifiques reportages photos de l’éparchie. Il rêvait de me rencontrer depuis qu’il travaille au café, et voici qu’il tombe sur moi. Gilles s’est fait un malin plaisir de dénoncer l’entorse que je venais de faire au carême. Le photographe-boulanger, parce qu'il est gentil, m’a dit : « le carême, chacun choisit le sien, à la mesure de ses forces. »

Cette année, c’est un véritable désastre. D’une part, je le supporte mal physiquement, mais en plus, je n’arrive pas à me recueillir, à lire, prier, à fréquenter davantage l’église. Je pourrais laisser plus ou moins tomber le côté alimentaire de la chose au profit des lectures et des offices, mais j’ai peur, alors, de ne plus rien respecter du tout. Et pourtant, j'ai mal partout, je suis triste et anxieuse pour toutes sortes de raisons, je suis crevée dès que je donne trois coups de pelle, n'est-ce pas un carême en soi?

Or à ce propos, j’ai lu les recommandations d'un starets sur la confession des péchés, et c’est affreux à dire, mais cela m’a complètement révulsée. J’en ressens l’impression que l’amour de Dieu est parfaitement totalitaire et ne laisse aucun répit à ses pauvres créatures. J’ai tout à coup pensé au « Festin de Babette », ce film où une cuisinière française recueillie par une communauté de vertueux protestants scandinaves très austères et coincés leur fait cadeau d’un festin digne des plus grands restaurants parisiens. Tous ces gens, qui n’osent pas refuser le don qu’elle leur fait, mais sont épouvantés de se laisser aller au péché de gourmandise, s’attendrissent peu à peu, sourient, communient dans la joie de partager ce merveilleux moment ensemble et en réalité, même dans l’Evangile, le Christ partage de tels moments avec de petites gens, pourquoi ne serait-il pas avec nous aussi quand nous avons du bonheur, je veux dire du simple bonheur humain, la chaleur d’un bon repas entre amis, et même la joie de l’amour partagé jusque dans ses manifestations charnelles, ne sommes nous pas aussi équipés pour cela, et non pas uniquement pour souffrir et mourir d’avance au monde magnifique qu’il a créé ? Car il est magnifique, quand nous n’en faisons pas un cauchemar, comme nous nous y appliquons depuis quelques siècles. Non, il faut dire que je ne suis pas une ascète, je suis une artiste et un écrivain, et j’aime la vie, et j’aurais aimé l’amour, si quelqu’un avait voulu le vivre avec moi, l’amour et pas la pornographie mais pas non plus un triste et répugnant échange de pisse-froids terrorisés par les grands courants de l’existence, d’ailleurs, la pronographie et la pudibonderie sont les deux faces d’une même médaille. C’est drôle comme malgré tout, j’ai l’impression que Dieu est au dessus de tout cela, et qu’il ne pourrait pas créer, s’il était rabougri et coincé, et n’avait pas en lui cet éros sacré et généreux que je lui suppose, c’est peut-être ce qu’un curé de mon enfance voyait en moi de païen, et qui le faisait entrer dans des colères terribles, au catéchisme.

J’ai vu aussi une vidéo sur un éleveur de cochon persécuté que Papacito essaie d’aider en recourant à la solidarité publique, et il a raison, c’est la seule parade actuellement. Je ne l'avais pas regardée, mais celui qui me l'avait envoyée a insisté, et j'ai dû m'y résoudre. Cette histoire m’a tellement bouleversée que je ne m’en remets pas. Je n’avais pas besoin qu’on me démontrât une fois de plus que nous sommes gouvernés par des mafieux, des démons et des sorcières, mes yeux sont largement ouverts. Mais néanmoins, quelle abomination... Ces gens n’existent que pour nuire à tout ce qui respire, nous traitant tous, humains, animaux et végétaux, comme les matériaux de leur richesse, de leur puissance, des matériaux et des souffre-douleurs. Ils haïssent la vie et ne connaissent de jouissance que dans sa destruction et sa profanation. L’occident, comme dit Poutine, c’est le bal des vampires, encore que des vampires ici, il y en a également, et l’histoire de l’éleveur de cochons laineux, qu'on a essayé de tuer, dont on a infecté tout le troupeau pour l'obliger à l'abattre, me rappelle furieusement les horribles détails de la collectivisation ici, par exemple le bétail parqué qui mourait de faim, sous les yeux de ses anciens propriétaires qui eux-mêmes mouraient de faim et n’avaient pas le droit d’aller nourrir leurs bêtes réquisitionnées. La civilisation du progrès et des droits de l’homme a accouché de monstres auprès desquels les plus furieux assassins des périodes antérieures font figure de personnages de contes aux réflexes encore nobles et humains qui pouvaient parfois s'attendrir ou respecter le courage de l'adversaire.



Sur la mafia qui nous gouverne, tout est dit ici. Et maintenant, allez donc mourir pour l'Ukraine de ces gens-là plutôt que de le faire pour défendre nos paysans et notre pays contre ceux qui s'en sont emparés.

mardi 16 avril 2024

Sauver les meubles

 


Le printemps s’installe, il y a quelques jours, je marchais le soir avec une amie, et tout était encore marronnasse, gris et frisquet, mais un coucher de soleil rougeoyant sur la nuit tombante nous apportait déjà les premiers scintillements sonores des rossignols. Parallèlement, avec les beaux jours, le voisin recommence à bricoler des heures en faisant profiter tout le quartier et moi-même de son atroce radio. Je m’échine a aménager le jardin pour ne plus voir la pustule qui pousse sur l’isba d’oncle Kolia, et que son bouleau aurait masquée au moins l’été, si on l’avait laissé vivre, mais non, les pustules aiment à s’étaler avec arrogance et ne supportent pas la compagnie d’un bel arbre. Or je sens que je ne peux plus travailler autant qu’avant, je me fatigue vite.

Le sermon m’a plutôt cassé les pieds, je le trouvais long. Les sermons doivent être courts et substantiels et ne pas faire dans le prêchi-prêcha. Et peut-être aussi ne pas être systématiques. Pourtant, d’habitude, j’aime bien les sermons de cet excellent prêtre. Mais allons un peu à l’essentiel, et si on ne le peut chaque dimanche, pas la peine de délayer, j’étais là, sur mon genou douloureux, à entendre bouboubou le péché, bouboubou le repentir, et vice-versa, cela me faisait, si j’ose dire, une belle jambe. Je suis lasse de tout cela. Pourtant, quand je prie, je le fais avec ferveur, chez moi ; je ne le fais pas tout le temps, enfin disons que je ne lis pas des kilomètres de textes devant les icônes, mais je prie avec ferveur. Je ne sais pas si je me repens, mais je suis bourrelée de remords et je ne pense pas avoir une opinion excessivement positive de moi-même, ne serait-ce que parce que je me sens solidaire de l'humanité, et donc responsable de ce qu'elle a de pire.

Je n’ai pas de forces, mais c’est compréhensible, je suis âgée, et j’ai en ce moment une nourriture pauvre, elle ne nourrit pas, mais elle fait grossir, vous pouvez être tranquille. Pâques tombant très tard, le réveil de la nature arrive en plein carême, et moi, j’ai du travail physique à faire au jardin, sans aide.

Je suis arrivée à aménager mon salon, et il me plaît beaucoup, mais je n’y suis jamais, je travaille dans mon bureau. Disons que la prochaine fois que j’aurai Valérie ou Anne-Laure, on pourra passer au salon, qui est aussi prévu pour servir de salle-à-manger, car si j’ai des invités russes, ils restent à table des heures. Il m’aura fallu presque huit ans pour aménager cette maison, qui ne me convenait pas vraiment. Le jardin, c’est pareil, fait comme il est et cerné par les emmerdeurs et leurs bâtisses moches, il est très difficile à organiser. J’aurais dix ans de moins, j’aurais déjà déménagé. Mais je n'en ai plus l'énergie, et face à ce qui se prépare dans le monde entier, j'éprouve le même sentiment. Chaque jour qui passe me paraît gagné sur un avenir fort sombre, en ce qui concerne l'humanité, et sur la vieillesse en ce qui concerne ma personne. Pourtant, si mauvaise orthodoxe que je sois, si cancre foncier que je sois, je crois, je crois que Dieu ne laissera pas tomber les hommes ni sa servante indisciplinée Laurence qui, malgré son goût pour la décoration et les jolis jardins, vit moralement sur ses valises.



L’Iran bombardant maintenant Israël, cela devient très rock n’roll. A force de semer le vent, bien sûr, on récolte la tempête, et c’était sans doute le but. A cause sans doute de mon avant-dernière chronique, je ne peux plus diffuser mon blog sur Facebook. J’ai ouvert une chaîne Telegram, pour ceux qui y sont, et j'invite les autres à s'abonner, mais il y en a qui n'y parviennent pas, ou qui ne le sont plus sans savoir comment cela s'est produit...

Je vois toutes sortes d’émissions, de commentaires, d’analyses, sur le comportement des Russes et des occidentaux, le pourquoi du comment de la guerre et son issue, et c’est très intéressant, mais moi, il y a une chose qui me tracasse vraiment, c’est les pleins pouvoirs universels donnés à une bande de grands malfaiteurs psychopathes par le biais de l'OMS. Parce que si tout le monde marche là dedans, y compris les Russes, ce sera très mauvais signe et l’on pourra se demander pourquoi meurent des jeunes gens en Ukraine, de part et d’autre. C’est-à-dire, côté ukrainien, on le sait, c’est pour la famille Biden et le second Israël. Et du côté russe ? Dans la tête des Russes et la mienne, c’est pour la souveraineté de la Russie et la sauvegarde de tout ce qu’elle représente, ce qui dépasse largement le cadre de son intérêt national. Que deviendra tout cela si l’on nous soumet à Bill Gates et Tedros ? Or parmi nos analystes et politologues favoris, personne n’en parle vraiment. Je suis tombée sur deux vidéos russes qui y font allusion, l’une est une mise en garde qui est l’équivalent de celle du professeur Perrone, l’autre est une interview du politologue Andreï Fourssov qui inscrit tout cela dans un changement anthropologique planifié visant à créer deux sortes d’humanité, une caste bien nourrie qui vivra longtemps dans la félicité, et une biomasse hagarde, c’est-à-dire quelque chose qui transformera les inégalités sociales en phénomène biologique. Il dit que si la Russie signe le traité de l’OMS, elle perdra toute souveraineté, le méchant dictateur Poutine passera sous la suzeraineté du bon dictateur Bill Gates et de tous ses pareils. Il dit quelque chose d’encore plus inquiétant : il n’y aura pas de pandémie tant que durera la guerre en Ukraine, celle-ci remplissant la fonction que le COVID n’a pas remplie, et évoque une guerre non seulement entre les états mais entre différentes tendances à l’intérieur de ceux-ci.

Il recommande de sauver les livres, qui sont en voie de disparition, et d'élever les enfants avec des contes, opinion que je partage, mais j'ajoute le folklore, que cet intellectuel ne connaît certainement pas, ou alors sous forme d'imitation kitsch épouvantable.



A l’issue de tout cela, j’ai regardé aussi le sermon d’un prêtre russe sur les infos et les analyses politiques. Il les considère comme très mauvaises et dangereuses pour l’âme de ceux qui les écoutent, car elles nous emplissent d’inquiétude et de haine. C’est un fait, si je coupe tout cela et que j’écoute de la musique liturgique ou Arvo Pärt, mon état intérieur s’améliore sensiblement. Cependant, j’ai l’exemple d’un ami orthodoxe qui a décidé de s’évader dans la contemplation extatique et finit par dire des stupidités injustes pour ne pas entrer en conflit avec la société qui l’entoure, en effaçant tout ce qu’il savait auparavant et qui le mettait en porte-à-faux. Et celui d’une autre amie orthodoxe, qui vivait en ermite, sans internet, dans le dépouillement et la prière mais qui, infirmière comme le premier, au vu des scandales dont elle était le témoin, a fini par entrer dans une lutte difficile et constante avec une institution devenue folle et s’est exclamée devant moi : « Ces gens-là n’ont pas d’âme ». Par inclination, je couperais bien la source de mes inquiétudes et de mes indignations, car même si on ne sombre pas dans une haine des cavernes, on est miné par cette situation particulièrement anxyogène et révoltante. Mais par solidarité humaine, je ne le peux pas. 

J’ai rencontré une jeune Russe francophone qui a passé quelques temps en Amérique, elle y a vu des Français aussi. Elle a été surprise de constater qu’ils étaient incapables de lui dire quel rôle jouait encore l’Eglise catholique, l’Eglise catholique, ils s’en fichaient complètement et ne savaient rien sur la question. Elle ressentait de l’hostilité, une pesanteur, il ne fallait pas parler de ces choses, en gros, comme le dit quelqu’un sur facebook, l’URSS est passée à l’ouest. De sorte que mon amie Dany a du mal à expliquer des allusions bibliques ou évangéliques dans les pièces classiques qu’elle étudie avec les ados du lycée français. Effacer le christianisme, c’est effacer nos deux mille ans d’histoire.

Comme je lui parlais d’un ami homosexuel que j’avais dans mon jeune temps, elle m’a demandé ce que je pensais de cela. Je lui ai répondu que nous étions tous pécheurs et que je réagissais assez calmement à la chose, et avec indulgence, car la vie n’était pas simple. « Je suis contre la propagande délirante et indiscrète qui sévit en occident, contre les transitions sexuelles, contre l’étalage vulgaire des manies d’une certaine communauté, je pense souvent, par rapport à l’orthodoxie, à ce qu’a dit je ne sais plus quel geronda grec sur la question : l’Eglise considère qu’il y a deux façons de vivre, le monachisme et le mariage, le reste, homosexualité, hétérosexualité, c’est forcément de la luxure, point à la ligne, n’allez pas chercher plus loin. » Maintenant moi, je trouve que c’est bien difficile à tenir et qu’on fait ce qu’on peut, ce n’est vraiment pas le genre de choses sur lesquelles je porte facilement un jugement. La cruauté m’indigne beaucoup plus, la bassesse, la perfidie, la bêtise... Je suis contre la propagande et je suis contre la stigmatisation. » Elle semblait partager mon avis, et je lui ai parlé de mon livre Yarilo, qui évoque ces relations, sans en faire la propagande mais sans caricature non plus, tout en présentant le mariage comme la seule union aboutie.

dimanche 14 avril 2024

Ville invisible

le rempart du monastère Goretski

 En ouvrant une vieille clé USB, je suis tombée sur des photos que j'avais faites la première fois que je suis allée à Pereslavl, en juillet 99. Malheureusement, je crois qu'il en manque beaucoup, j'avais scanné celles-ci au moment de mon déménagement. Combien j'avais aimé cette ville pittoresque et poétique qui gardait son caractère russe capricieux, nonchalant et naturel, malgré les destructions soviétiques et avant le saccage post-soviétique qui l'attendait et qui est presque achevé...  Elle reflétait une véritable douceur de vivre, une paix, une liberté qui ont disparu sous l'afflux des touristes et des voitures, sous le bétonnage et le cloisonnement, le siding de plastique et les barrières métalliques, les toits aux couleurs vénéneuses, les murs de blocs de ciment gris jamais enduits, parce que cela ressemble à de la pierre aux yeux de ceux qui prennent toujours les vessies pour des lanternes, et que la pierre, c'est exotique, ça fait riche. Au début, je pensais qu'on n'avait pas crépi faute de moyens, mais maintenant, j'observe que c'est systématique et sans doute voulu. Le moins qu'on puisse dire est que cela n'embellit pas le paysage...

Devant ce même monastère, il y avait un monument de la seconde guerre mondiale, sous forme d'un tank que les gosses escaladaient et qui a disparu, pour faire place à des maisons bigarrées qui n'ont tenu aucun compte de l'environnement pour s'installer avec insolence. J'ai retrouvé aussi une vue que j'avais prise derrière ce monastère, et qui n'existe absolument plus. L'hiver suivant, j'en avais fait un dessin, que j'ai ensuite offert à mon filleul en France. C'était si équilibré, aéré, harmonieux, tout allait bien ensemble, les maisons, les arbres et les églises. Maintenant, de grosses maisons moches s'accumulent à cet endroit comme si on y avait vidé un énorme seau plein d'objets hétéroclites.





A l'époque, Moscou ne venait pas tellement à Pereslavl, à part les artistes-peintres, parce que c'était considéré comme loin, il n'y avait pas de train, seulement des bus, la route à quatre voies n'avait pas été prolongée. Mais je ne suis pas sûre que ce soit Moscou qui ait tout gâché, ou plutôt si elle l'a fait, c'est indirectement, les habitants voulant vivre comme les moscovites, ou comme ils se figuraient que les moscovites vivaient. "Nous voulons vivre bien" est l'argument pour raser les isbas pittoresques plutôt que de les aménager, à cause du mépris inculqué pour le monde paysan et tout ce qui est ancien. Ou pour construire des châteaux américains et des cottages allemands ou qui voudraient le paraître. Et tout cela, sans aucune considération pour les voisins, pour l'environnement, pour l'ensemble de la ville. On pose sa maison comme un pliant sur une plage bondée, en écrasant les orteils de ceux qui sont déjà là et qui n'ont qu'à se pousser, ou aller plus loin. 




Le monastère saint Nicétas venait d'être rendu au culte, il était dans un très mauvais état, mais quelle beauté, et que d'espace autour de lui, l'âme ouvrait ses ailes à cette vue, comme les oiseaux qu'on voyait passer dans ce ciel immense. L'église avait encore ses coupoles de tuiles de bois essenté, je suppose qu'on n'a pas pu les garder à la restauration. Inutile de dire que ces vues n'existent absolument plus. Tout est déjà grignoté par toujours les mêmes bâtiments anarchiques très laids, sans aucun plan d'urbanisme, et dans l'absolu, un tel site aurait dû être préservé de toute construction, car il contribuait à la valeur historique, artistique, esthétique de la ville mais sans doute que le mot "touristique" concerne exclusivement les mongolfières, les planches à voile, les ailes volantes, les motos, le camping; le restaurant et la plage, et pas la beauté et le silence d'un site intact autour de son merveilleux monastère, avec la source miraculeuse de saint Nicétas qu'on voit sur la photo et qui disparaît aujourd'hui derrière les OVNIs.



Le monastère de la Trinité-Saint-Daniel était lui aussi en très mauvais état, il a été depuis entièrement et magnifiquement restauré, et il fonctionne, Dieu merci. Mais tout l'écrin de cette nature spontanée et de ces maisons traditionnelles devant lesquelles des petites dames discutaient paisiblement, dans le fil de la brise et le calme d'une après-midi d'été, a été ravagé par une pompe à essence, un complexe de matériaux de construction, d'énormes bâtisses au ras de la rue, où plus personne ne s'assied, et où circulent des voitures. 

1999, cela ne me paraît pas si loin, et pourtant, ça l'est déjà. Ce qui s'est passé à Pereslavl se passe à Moscou et dans beaucoup d'autres villes, cela se passe dans le monde entier, d'ailleurs, et grandissent des générations qui ne savent même plus ce que c'est que la poésie ou l'harmonie, ont une vision absolument utilitaire, artificielle, consumériste et morcelée de l'existence, chacun pour soi, chacun s'impose, prend, achète, réquisitionne, le monde entier n'est qu'un champ d'exploitation, un parc de loisirs, un terrain de chasse, un complexe sportif, un centre commercial, un hôtel, un bordel.


La rivière Troubej n'avait pas été encore dépourvue de ses jolies maisons au profit de villas mon rêve abominables, et ici, c'était le lac au pied du "Botik" de Pierre le Grand, je m'y étais baignée: 



Maintenant, les bénévoles du mouvement "Tom Sawyer Feast" s'efforcent de sauver ce qui subsiste, et bravo, mais il ne reste pas grand chose. Les "moscovites", qui ont le dos large, esquissent un mouvement inverse, en restaurant joliment de vieilles maisons ou en construisant dans l'esprit russe (et non dans le kitsch à la russe boursouflé qui n'a rien à voir avec cet esprit), le problème est que la ville a complètement perdu son unité, sa structure, et que ces tentatives sont assez isolées, à la limite, maintenant, c'est ce qui est authentique qui paraît déplacé.

Comme me le disait une amie française à propos des environs d'Avignon, "si nous pouvions voir le monde tel qu'il était il y a cent ans, nous pleurerions de chagin et de honte". J'espère qu'on ne fera jamais avec Gorokhovets, Iouriev-Polski, Ferapontovo ou Elets ce qu'on a fait avec Pereslavl.

jeudi 11 avril 2024

Viande

 J'ai lu un article d'Igor Drouz, journaliste ukrainien orthodoxe et monarchiste, dont je crois devoir faire part aux lecteurs français. 

"Beaucoup d'experts de l'Ukraine, dont moi, disent depuis longtemps que les autorités pro-occidentales de Kiev, s'apprêtent à pousser les femmes à la guerre avec la Russie. Le 2 avril, le président Zelenski a signé une loi sur la création du cabinet électronique de l'appelé. Il comprend la règle selon laquelle le registre collectera toutes sortes de données sur les citoyens, sans aucun consentement, ce qui a été critiqué même par la Direction principale des experts scientifiques de la Rada. Mais le plus intéressant est que ces données seront collectées non seulement sur les hommes mais sur toutes les femmes. L'article 13 de la loi stipule que les autorités soumettent au registre des données tous les citoyens ukrainiens âgés de 18 à 60 ans. 

Autrement dit, toutes les femmes de l'âge spécifié seront inscrites sur la liste des personnes assujetties au service militaire. Certes, le texte indique que les opérateurs du registre, le ministère de laDéfense, l'état-major général des forces armées ukrainiennes, le SBU, le service de renseignement étranger, supprimeront les données des citoyens qui ne sont pas astreints au service militaire. Mais cette réserve ressemble davantage à une tentative des autorités pour rassurer la population. Car si les femmes ne sont pas mobilisées, pourquoi devraient-elles être inscrites dans ce registre? 

Je remarque que les dirigeants ukrainiens font constemment référence à l'expérience de plusieurs années de guerre en Israël et parlent de la "nécessité" de faire de l'Ukraine un "nouvel Israël". Et en Israël, toutes les femmes doivent servir dans l'armée, mais elles servent un an de moins que les hommes. Dans le même temps, le régime Zelensky souligne toujours le rôle prétendument très important des femmes dans l'armée et parle constemment de manière flatteuse des "glorieuses défenseuses". Les politiciens de moindre importance sont encore plus franchement en faveur du service militaire des femmes."

https://ren.tv/blog/igor-druz/946853-feministki-sdelali-ukrainok-pushechnym-miasom

Il parle ensuite de la propagande en faveur du "droit" des femmes à aller se faire trouer la peau dans la boue des tranchées aussi bien que les hommes, du soutien américain à ce genre de projet, de la propagande en faveur de la théorie du genre et du féminisme qui dénient aux gens toutes particularités liées à leur sexe, bref, de tout ce qui peut contribuer à faire de ces soi-disant farouches nationalistes une masse indifférenciée prête à passer à la moulinette au signal, comme les clones dans les romans de Voznessenskaïa. Il évoque aussi l'Eglise orthodoxe, qui représente un point de résistance, car le renouveau spirituel s'accompagne d'un renouveau famillial traditionnel, le père, la mère, les nombreux enfants. au fait, que deviennent les enfants, si tout le monde part se faire hacher menu? Je laisse cela à votre imagination, si vous n'êtes pas trop sensible ni trop renseigné. 

La ressemblance avec les lois récemment édictées par Macron ne vous fait pas tiquer? Et le "nouvel Israël"? Bon, imaginez que les Palestiniens se soient laissé laver le cerveau jusqu'à faire la guerre aux Syriens en prétextant qu'ils sont les seuls vrais arabes musulmans du Moyen Orient, et qu'ils vont créer un grand califat, tandis qu'Israël leur fournirait les armes pour se faire tuer jusqu'au dernier, laissant aux voisins exécrés le soin de nettoyer le territoire tout en se causant à eux-mêmes le maximum de tort. Ce serait le crime parfait, on se demande pourquoi on n'y a pas pensé. Pour ce qui est des Ukrainiens, cela a très bien marché. Mais j'ai mauvais esprit sans doute.

Dans la perspective de la théorie du genre, prélude à l'élaboration d'une biomasse d'abrutis effarés dont on fait ce qu'on veut, je soumets à la curiosité des esprits comme le mien cette vidéo édifiante:

https://vk.com/loralira?z=video634258456_456246301%2F619939d4e60b837e24%2Fpl_wall_19879744

Je ne sais pas si elle s'ouvrira, car elle vient de VK, et sans doute initialement de Telegram, évidemment, puisque youtube and co censurent à mort. Il s'agit de témoignages de transgenres en proie à d'affreux effets secondaires physiques et psychiques des charcutages et des empoisonnements qu'on les a encouragés à subir pour faire d'eux-mêmes ce qu'ils ne sont pas et ne seront véritablement jamais.

Puis je suis tombée sur ce message dans facebook, envoyé par un Bulgare:

Si on imagine qu'il y a une mafia qui contrôle les médias des pays démocratiques clés ?

Elle pousse ses pions à des postes clés ? C'est facile de comprendre que dans ce cas ses candidats gagnent les élections. Ils pourraient exercer un contrôle et influencer presque chaque état démocratique par les médias et leurs propres candidats ayant gagné les élections. Cependant parfois ça ne marche pas trop : Victor Orban en Hongrie, Robert Fico en Slovaquie. Sinon on voit qu'en général on est très très unanime... Les dictatures par contre sont contrôlées par le dictateur et échappent donc au contrôle de la mafia. Cela expliquerait aussi pourquoi certains dictatures sont dans le viseur de la guerre et de la propagande des autorités et médias de certains democracies du monde. Il y a des dictateurs qui se vendent facilement (Afrique etc.) On n'en parle pas d'eux dans nos médias, ces dictateurs ne sont pas "méchants". Il y des dictateurs trop têtus, trop indépendants qui ne se rendent pas, ne se vendent pas. Les derniers doivent être éliminés. Les pions de la mafia font des guerres absurdes, des coups d'état, des révolutions de couleur. Les médias suivent la musique et l'opinion publique majoritaire est favorable. Exemple : la guerre d'Irak 2003, la guerre de Libye 2011, le coup d'état d'Ukraine 2014. C'est pas fait par stupidité ni par erreur. D'abord, que la guerre soit perdue ou gagnée, ils gagnent énormément d'argent grâce aux commandes militaires. Deuxième, ils éliminent les dictateurs qui échappent à leur contrôle. La majorité des gens puisent dans les médias non seulement les évènements et faits sélectionnés, présentés et souvent déformés, mais aussi les interprétations et opinions répétées Si on imagine cette mafia. alors tout dans notre réalité coïncide et s'explique de façon rationnelle. Non Ils n'ont pas été trop stupides, non Ils n'ont pas fait d' erreurs. Iraq, Libye, Syrie, Russia, Chine J'ai donc émis l'hypothèse que nos belles démocraties sont parasitées par une mafia militaire, qui contrôle aussi les médias Mainstream et donc le vote et l'opinion de la majorité. JFK a très probablement été assassiné notamment par cette mafia, contre laquelle Eisenhower nous a mis en garde dans son discours de passation du pouvoir. Les USA ont été la première prise de cette mafia, je pense. La Communauté Européenne est un outil parfait pour contrôle et soumission de l'Europe. l'OTAN est l'organisation militaire officielle de cette mafia. Les nombreux alliés obéissants sont sous contrôle satisfaisant. L'opposition est divisée, diabolisée et disqualifiée. Extrême droite, extrême gauche, nazis, agents de Poutine, trolls de Poutine etc etc. Après la deuxième guerre mondiale, la majorité des nazis et criminels de guerre ont été "recyclés" dans le bloc occidental pour travailler et notamment lutter contre l'URSS et le bloc de l'est. Cette mafia sans nom, utilise non seulement le "travail" des nazis, mais aussi soutient et coopère avec les terroristes islamistes. En Afghanistan contre l'URSS, en Libye contre le régime de Mouammar Kadhafi, en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad. La stimulation des terroristes islamistes offre une vraie justification pour le contrôle sur la population et la militarisation de la police et la gendarmerie. Encore une occasion pour les marchands d'armes. Tout s'explique. Professeur Jeffrey Saks, que j'admire et je respecte énormément, avance que les fonctionnaires de Washington sont stupides, ils font des erreurs colossales. Pas du tout. Ils sont très malins et capables. Simplement leurs choix ne reflètent pas les intérêts des américains, ni de leurs alliés, ni des intérêts de l'humanité en général. Les marionnettes et la mafia anonyme, prennent des décisions et des actions très intelligentes qui correspondent aux intérêts de cette mafia qui a usurpé le pouvoir de nos sociétés démocratiques.

J'ai été sidérée par ces constatations, qui correspondent assez bien aux miennes. Il fut un temps où, sentant tout cela de façon épidermique, je m'étonnais de me retrouver du côté de Saddam Hussein ou de Khadafi que je voyais jusque là comme des dictateurs caricaturaux à la Tintin et Milou. Cependant, je ne suis pas sûre qu'ils soient aussi intelligents qu'il le dit, les grands banksters et mafieux dont il parle. Ils sont fourbes, cruels, vindicatifs, cyniques, dénués d'empathie et de principes moraux à un point fantasmagorique qui fait de Gengis Khan un type assez fréquentable, et m'inclinerait presque à canoniser non seulement Ivan le Terrible, alors là, sans problème! Mais même Staline dans la foulée. Cependant la méchanceté et la cupidité rendent souvent incapable de prévoir ce qu'on ne peut mesurer à l'aune de telles "qualités", elles inclinent à perdre le sens des réalités avec l'accroissement du pouvoir. Sans compter que ces gens-là n'ont pas de loyauté entre eux et se tiennent par la barbichette au moyen de "kompromats" affreux sur lesquels, quand on veut, on est de mieux en mieux renseigné. 

J'ai des amis russes patriotes qu'indignent certains procédés de leur gouvernement à qui ils attribuent des arrières-pensées, des atermoiements peu honnêtes, mais j'en reviens à ce que disait Laurent Brayard l'autre jour: "En face, c'est tellement pire que le choix est simple". Poutine est peut-être un dictateur, bien qu'il soit largement plébiscité par sa population, mais ce n'est pas un dictateur soumis à cette pieuvre supranationale atroce et cela suffit à déterminer mon choix. 

J'attends que tous les défenseurs des droits de l'homme va-t-en-guerre se précipitent pour montrer l'exemple aux derniers hommes ukrainiens, qui se font sauter la tête quand les recruteurs s'emparent d'eux, et à leurs femmes, que les soldats russes trouvent parfois bras en l'air dans les bois, leur criant: "Je suis enceinte", pour les retenir de tirer plus vite que leur ombre. Je voudrais voir Anne Nivat et Anastassia Colosimo, avec leur petit casque et la bénédiction paternelle, partir gaiment à la tête de ceux qu'elles contribuent à faire tuer par milliers, pour le plus grand profit de la mafia.

Pour conclure, j'ajouterai la vidéo de l'interview du professeur Perronne. Certes, Nicolas Bonnal m'a envoyé un commentaire sur la "numérisation forcée" de la Russie, mais chez mon "dictateur insoumis", je ne sens pas encore pointer ce qui se manifeste ailleurs, bien qu'à vrai dire, je suive attentivement ce qui se passe entre la Russie et l'OMS, la réaction de l'une à l'autre pouvant avoir une signification et des conséquences décisives.


Cela me fait bien plus peur que la "numérisation forcée" dont je ne sens pas ici, pour l'instant, les effets. 

lundi 8 avril 2024

Le chemin des écoliers

 

Hier soir, Jason donnait un concert au bar du café. Cela me fait un drôle d’effet de voir cet Américain « crazy », comme j’en ai connu il y a bien longtemps, nous chanter une musique que j’écoutais il y a bien longtemps, dans les bars de son pays, et qui reflète des existences chaotiques, errantes, saignantes de cow-boys, de camionneurs, de vagabonds en leur donnant une dimension tragique, parfois comique, pleine de larmes, de dérision, de passions déçues, notre univers humain déchu, violent et désespéré. C’est comme une étrange résurgence de ma jeunesse dans ma vieillesse, une sorte de téléscopage temporel. Son univers, dans le registre country, me rappelle les romances cruelles du cosaque Iouri Chtcherbakov. C'est du folklore, c’est vivant, c’est vrai, comme Jason lui-même. Il joue avec des partenaires russes qui ont de bonnes bouilles et n’attendaient que lui, et leur niveau à tous est excellent, ils pourraient tout-à-fait se produire dans des bars moscovites. Ce qui me plaît chez Jason, c'est son côté bargeot. Il est très orthodoxe, c'est son côté Silouane, son nom de baptême, et il a un côté bargeot, un côté Kerouac. Le mélange des deux est très touchant.

Le lendemain, comme je l’avais promis à la matouchka Alexandra, je suis allée fêter l’Annonciation et l’adoration de la Croix, qui cette année tombent le même jour, à la Laure de la Trinité-Saint-Serge. C'est d'ailleurs un événement rare, dû à la date très tardive de Pâque, cette année. Nous fêtons le même jour la Conception du Christ et sa mort rédemptrice sur la Croix. C'est intéressant, aussi, comme téléscopage temporel.

Cela représentait pour moi un exploit, car le matin, je suis complètement au radar, surtout quand je ne peux boire un verre d’eau et un café pour remettre mon organisme en route. Conduire plus d’une heure quand je suis rouillée et mal réveillée, puis assister à un office monastique interminable sans pouvoir m’asseoir, cela commence à ne plus être de mon âge. D’ailleurs, je râlais dans la voiture, et je ne suis pas arrivée de très bonne humeur. La cathédrale de la Dormition, construite par Ivan le Terrible, est une pure merveille, avec des fresques d’époque, une iconostase splendide. Le choeur était à la hauteur du reste, c'étaient d'ailleurs plutôt deux choeurs qui se répondaient, avec des effets de canon qui déferlaient comme des vagues sonores successives, l'écho palpitant d'envols séraphiques: « Nous vénérons ta Croix, Seigneur, et nous glorifions ta sainte Résurrection ». Voyant que personne autour de moi ne s’en privait, j’ai voulu prendre une photo, mais un gardien féroce m’a engueulée, sans doute parce qu’il connaissait tous les autres contrevenants, et que l’inconnue de service était la proie idéale. Cependant, il n’avait pas tort et d’ailleurs, prendre une photo dans une église bondée n’est jamais très facile. Mais disons que moulue et somnolente comme je l’étais, cette remontrance n’a pas amélioré mon état intérieur. A cause de cet incident, je mets seulement la photo de l’affiche de Jason pour illustrer la chronique, tant pis pour la cathédrale, ses moines et ses nombreux fidèles et pèlerins, ses starets qui distribuaient leur bénédiction à travers les allées de ses jardins, les coupoles dorées et les oiseaux tournoyants.

Pour me calmer, j’ai recouru à la prière de Jésus, cela m’évitait de fulminer intérieurement ou de trop penser à mes pieds, à mes genoux et à mes contusions. Quand on vient vénérer la Croix, il faut surmonter ses petits malaises... Mais honnêtement, si je suis contente d’avoir assisté à cet office épuisant et d’une grande beauté, cela n’est pas pour moi, en dépit du cadre vénérable et admirable. J’aime autant ma cathédrale, où je me sens en famille, ou bien la paroisse du père Valentin. Il y avait deux sermons, et outre que cela fait beaucoup, et que je n’en comprends pas toutes les subtilités, je ne pouvais m’empêcher de penser à l'homélie inspirée du père Theotokis, à Solan, qui volait tellement au dessus de l’étroite bondieuserie... Parfois, je n'ai plus aucune réaction à l'écoute de ces discours sur nos péchés, comme les gosses en classe qui débranchent quand les profs font des remontrances et dessinent ou regardent les nuages par la fenêtre. Je suis toujours restée un cancre, au fond. J'ai besoin qu'on me fasse rêver, qu'on me donne des ailes et qu'on m'inspire de l'amour. Je pense souvent à la chanson de Brassens "le testament" qui est peut-être celle de lui que je préfère:

Tant pis si les croque-morts me grondent,

Tant pis s'ils me croient fou à lier,

Je veux partir pour l'autre monde,

Par le chemin des écoliers...


Je n'exclus pas d'ailleurs que ma mauvaise humeur et ma fatigue n'aient attiré le gardien déplaisant et jeté une ombre sur ce moment, il nous arrive souvent ce que notre état intérieur détermine. Car notre office à la Laure avait certainement plus d'élan et de lumière qu'une étrange cérémonie espagnole, dont un ami catho tradi a envoyé la vidéo à Dany. Des militaires promènent un crucifix cadavérique couché, au son d'une fanfare lugubre. Je me suis souvenue, en voyant cela, des digressions de Dostoievski sur le Christ mort d'Holbein qui pouvait faire perdre la foi au spectateur du tableau. C'est là qu'émergent nos divergences, car notre ami ne voit pas cela, il voit juste que les traditions se perpétuent, oui mais lesquelles? Dany et moi sommes évidemment sorties de cet état d'Esprit....




jeudi 4 avril 2024

Archipels

 


Fiodor est parti pour la guerre, Katia est allée avec moi, pour se remonter le moral, au restaurant "les Boyards" manger un menu carémique. Il y a pas mal de pertes sur le front, d'après ce que nous entendons dire. Il part volontaire, il est fils unique, il a deux gosses. Je commande des prières de tous les côtés. En passant, nous voyons des maisons décorées de drapeaux russes ou du drapeau du Sauveur non fait de main d'homme, sur fond rouge. La ville est en ce moment particulièrement moche, parce que la neige a fondu, mais la verdure ne lui a pas encore succédé, et rien ne vient adoucir ses disgrâces. On voit toutes les verrues et toutes les tumeurs qui bourgeonnent sur les maisons anciennes, et puis les maisons nouvelles, boursouflées et contrefaites. Mais la mairie illumine la nuit les bâtiments des siècles passés qui subsistent. C'est un phénomène  nouveau. 

A Belgorod, les bombes pleuvent sur les civils qui demandent nos prières. Les Ukronatos font la guerre aux civils, cela fait dix ans que ça dure. Mais soit on n'en parle pas, soit on met ça sur le dos des Russes, qui l'ont large, comme chacun sait.

 Je suis tombée sur une vidéo d'Anatoly Livry et j'ai été particulièrement intéressée par son idée que l'Europe est l'objet d'un génocide et d'un dressage sournois depuis déjà bien longtemps (à 40 mn). Cela fait plusieurs générations qu'on assassine les Européens en masse en éliminant les meilleurs, de sorte que si nous continuons de la sorte, nous n'aurons plus que des cloportes, stupides, veules, minables et crédules, prêts à disparaître dans un melting pot de sous-hommes fabriqués pour ce rôle par une caste de demi-dieux transhumanistes. Déjà, la plupart des jeunes grandissent comme des enfants loups qui ne réalisent pas les acquisitions nécessaires au bon moment et poussent diminués intellectuellement et moralement. Bien sûr, il y a des miracles, des gamins génétiquement doués qui nous émerveillent, mais on fait tout pour les marginaliser et les exclure, car tout le domaine culturel est entre les mains d'une médiocratie contrôlée qui sélectionne systématiquement les siens. Il n'y a qu'à voir par quelle caste d'imbéciles, de fourbes et de criminels nous sommes maintenant gouvernés. De plus, on nous fait vivre dans un environnement affreux, antinaturel, profondément moche et étranger à la vie et aux valeurs humaines éternelles, ce qui bloque tout développement spirituel, esthétique, éthique, poétique. Ce qu'il dit sur les slavistes français est très judicieux, et je me demande par quel phénomène psychologique ces gens censés comprendre la Russie mieux que les autres font tout, avec une aversion méticuleuse, pour en brouiller la perception et en falsifier l'histoire à longueur d'antenne. J'en viens à penser que ce sont des agents recrutés. Ou bien simplement n'auraient-ils jamais eu leurs diplômes ni leur position si ils avaient eu un autre avis sur la question. Je me souviens de la haine trotskiste dont j'ai été parfois poursuivie quand j'étais en fac. Et pas seulement moi. L'une avait ses examens parce qu'elle était militante, l'autre était recalée parce qu'elle fréquentait des Russes blancs. Cela fait cinquante ans que nous nageons dans le "vomi trotskyste" dont il parle.


Je me dis souvent que depuis deux cents ans, Dieu fait ses moissons de justes, avant les derniers temps, et ainsi ne resteront que les pauvres êtres dressés par la Bête et marqués par elle, et un petit troupeau réparti dans les archipels lumineux que personne ne voit. Ainsi, le tri sera facile.

J'ai vu aussi la vidéo d'un adolescent qui a tout compris, et comme il est né normal, avec un bon fond génétique, il veut avoir une vie normale, celle d'un paysan qui a affaire à la nature et aux choses vraies. Mais je crains qu'on ne le laisse pas faire, car sa personne est une offense aux diminués et à leurs maîtres. Sa seule chance, c'est l'effondrement de tout ce système démoniaque. Au moment de cet effondrement, qui à mon avis ne manquera pas d'arriver, il aura un avantage par rapport à tous les autres, il saura couper du bois, faire pousser des légumes et élever des animaux. Et il en est conscient.

Ce que je trouve rassurant, c'est qu'en dépit de l'abrutissement et de l'avilissement organisés, émergent encore de telles personnalités. Cela me donne l'espoir que, dans les archipels lumineux, se préserve quelque chose qui permettra à l'humanité de reprendre pied, quand l'effondrement entraînera ceux qui en sont responsables au fond du trou noir qu'ils auront eux-mêmes créé. Il me parait parfois impossible, devant la catastrophe spirituelle et culturelle sans précédent qui est la nôtre, que nous puissions rétablir ce que nous avons mis des millénaires à acquérir et à transmettre. Mais peut-être suis-je trop pessimiste. A moins, bien sûr, que nous soyons au seuil du Second Avènement et du Jugement Dernier...

Mon beau-père me disait de tout laisser tomber et de devenir bergère dans la haute Ardèche ou les Alpes, c'était un sage. Maintenant, je suis trop vieille. Juste un petit îlot de l'archipel avec des chats, des fleurs et des mésanges, à Pereslavl-Zalesski.



Points lumineux

 


La température est montée à plus de 20 degrés pendant deux jours et maintenant, elle va redégringoler jusqu'à 5 degrés demain matin. Un peu éprouvant. Mais la neige a fondu presque complètement, laissant le paillasson marronnasse de cette période, étoilé par quelques crocus. Je suis allée nettoyer un peu ce chantier, ce qui m'a épuisée, les variations brutales de température ne me valent rien. Et puis quand je commence à jardiner, j'ai beaucoup de mal à m'arrêter à temps et à ne pas me lancer dans les douze travaux d'Hercule.

J'ai passé quelques jours à Moscou, laissant ma ménagerie à Valérie, qui est venue passer trois semaines. En sortant de ma voiture, pour laquelle j'avais trouvé une place idéale, je me suis étalée, après avoir trébuché sur une grille d'évacuation des eaux qui dépassait du bitume, je suis tombée la tête la première sur le pare-choc d'une voiture, me voici avec l'oeil au beurre noir, et des contusions diverses. Je vis dans la terreur de ce genre de gadins. J'ai passé tout l'hiver sans tomber, mais ici, on peut se casser la gueule en toute saison. 


C'était la fête d'Aliocha, le gendre du père Valentin, et après la liturgie, j'ai été invitée, avec Dany, à la table des prêtres et de leurs copains, dans la maison attenante. Il y avait, outre le père Valéri, le père Dmitri et le père Valentin,  l'arrière petit-fils du père Paul Florenski, Vassia, et aussi le Baron, Vassili Gueorguiévitch, que je n'avais pas vu depuis des temps. Il dit des choses très intelligentes et très spirituelles, mais j'ai parfois du mal à le comprendre, car il chuchote tel le python Kaa. Mais je l'aime beaucoup, j'ai passé avec lui et avec les Asmus des soirées mémorables. C'est un homme très cérémonieux, toujours en costar, un intellectuel à l'ancienne, autrefois, il aurait fini au goulag.

J'ai passé ensuite la soirée chez Iouri et Dany, dans le théâtre du poète, avec un cinéaste italien contestataire et Laurent Brayard, que connaissent bien ceux qui s'intéressent depuis longtemps à la cause du Donbass, et que je n'avais encore jamais vu en chair et en os. Nous avons beaucoup parlé de la paysannerie française, car c'est son milieu d'origine, à cinq ans il savait déjà danser la bourrée, son père et son grand-père agriculteurs fabriquaient des vieilles à roue. Il a l'âge d'être mon fils, mais il a encore connu ce monde-là, sur lequel on s'est tellement acharné qu'il a pratiquement disparu.

Puis la conversation est venue sur le Donbass, sur les horreurs qu'il a vues et se refuse à décrire en détails et encore plus à filmer. Mais il a rassemblé des témoignages. Comme il va fréquemment là bas, il n'arrive pas à s'arrêter de fumer. Il nous a raconté qu'un jour, il s'était retrouvé avec une équipière dans un endroit particulièrement dangereux, avec des bombes qui tombaient à cent cinquante mètres d'eux, et qu'ayant allumé une cigarette, il s'était fait engueuler par une grand-mère qui lui avait reproché de mettre de la sorte ses jours en danger. Ce qui avait provoqué chez lui un fou rire qu'elle avait aussitôt partagé. 

Ils ont tous évoqué des aspects peu reluisants du conflit, les trafics, les faux héros, les vrais bandits et les fonctionnaires corrompus, mais Laurent a déclaré: "C'est vrai, tout cela existe, je vois des gens immondes, des gens magnifiques, je vois aussi beaucoup de gens qui sont parfois à la hauteur et parfois pas du tout, des pires capables du meilleurs, des meilleurs qui tombent dans le pire, mais ce que je peux dire, c'est qu'en face, ils sont tellement affreux que le choix est vite fait."

Le lendemain, j'ai réussi à rencontrer Quentin le Belge et Xioucha, dans un restaurant belge, justement. Nous avons évoqué une dame libérale que Xioucha souhaitait me voir "anéantir", mais je n'ai pas trop le goût de la polémique, je n'y recours que lorsque j'explose de rage ou que je suis acculée, ce qui n'est pas le meilleur état d'esprit pour discuter. J'admire et j'envie le calme de Slobodan Despot. Cette dame a bien des qualités mais l'habituel défaut dans la cervelle, le point aveugle de ce type de personnes. "Vous auriez dû le faire, me dit le père Valentin, en tant que Française, pour le salut de son âme immortelle!

- Quel culot, me dit Xioucha, et pourquoi ne le fait-il pas lui-même?

- Parce que la parole d'une Française a plus de poids.

- Lolo, c'est inutile, elle est incorrigible, ils sont tous fous. Ainsi, elle me recommande de faire le plein, car selon elle, les raffineries russes sont toutes détruites, le pays est à genoux, nous allons manquer de tout."

Elle écoute strictement les medias russes libéraux et les médias français, et les formidables conneries qu'on y diffuse en boucle. C'est une sorte de secte, et elle a des adeptes dans tous les pays, même si elle ne détient pas le pouvoir partout. Les rhinocéros du septième jour.

https://youtube.com/shorts/tZJoyl0UXvQ?si=RVByiwrTezyn-kxo

Nicolas Bonnal nous a envoyé un extrait d'un film de Louis Malle, "my dinner with Andre", qu'il est paraît-il difficile de trouver maintenant. Cette conversation date des années quatre-vingt, et tout y est, mais ce n'est pas si étonnant que cela, tout était déjà en germe depuis longtemps. Ce qui m'a frappée, ce sont les références à des "points lumineux", des endroits de résistance où les gens conservent les valeurs humaines et des relations normales, c'est exactement ce que j'ai vu en France: une société de plus en plus étouffante et totalitaire sans que les gens s'en rendent vraiment compte, et des "points lumineux" qu'ils ignorent, qu'ils ne remarquent même pas. J'ai ressenti, depuis que je suis montée à Paris faire mes études, le milieu urbain comme une prison, et c'en est aujourd'hui réellement une, sans que les détenus s'aperçoivent de rien, et même, ils estiment que leur incarcération est un grand privilège qui leur donne une supériorité sur ceux qui restent en province. A l'époque, mon point lumineux, c'était l'église de Vanves. Je disais au père Barsanuphe que j'aurais voulu vivre au Moyen Age. Il me répondait: "Mais dans l'Eglise, vous y êtes..."


Quand je vais à Moscou, je suis contente de voir les amis que j'y ai, mais je n'ai qu'une idée, c'est de fuir cet environnement, ce labyrinthe. Et encore, Moscou, c'est une ville où l'on respire, où l'on garde une certaine liberté.